« Bien qu’elles dépendent de conditions pré-existantes, donc existant déjà dans le présent, les innovations, inventions, créations à venir ne peuvent encore être conçues avant leur apparition (ce sont seulement les conséquences des créations/inventions actuelles qui peuvent être éventuellement imaginées). […]. Le futur, avant qu’il n’arrive, est là (comme nous le montre l’exemple de notre dépendance énergétique) en même temps qu’il n’est pas encore là. Le futur ce sera un cocktail inconnu entre le prévisible et l’imprévisible. »
Edgar Morin – Pour Sortir du XXe siècle – 1981
La difficulté principale à laquelle se confrontent les professionnels et les élus qui décident la construction d’un nouvel hôpital est de s’assurer que le projet réponde aux besoins d’aujourd’hui et soit en mesure de s’adapter à ceux prévisibles et imprévisibles de demain. Dans l’ouvrage collectif que j’ai eu l’immense plaisir de coordonner “ Concevoir et construire un hôpital ”, j’ai proposé sept invariants, comme guides de la réflexion, pour tenter de résoudre cette gageure :
1. Une conception, fondée sur un projet stratégique d’établissement, construit à partir d’une analyse de l’environnement, partagé avec la population et les acteurs concernés et traduite dans une charte qui engage la dynamique projet dans la durée
2. Une organisation spatiale des activités et une ergonomie des locaux conçues pour accueillir les patients et leur proche dans des espaces à taille humaine, fondées sur une logique de ‘healing environment’
3. Une organisation physique conçue autour des parcours patients, plutôt qu’une conception fondée sur les cloisonnements disciplinaires et la notion de territoire physique de services
4. L’intégration de lieux et de moyens d’échanges dématérialisés avec les autres acteurs de santé
5. Une conception modulaire et évolutive, caractérisée par une réemployabilité forte du bâti, adaptable en fonction des évolutions des pratiques et techniques médicales, des besoins de santé, de l’offre présente sur le territoire, mais aussi de l’évolution démographique et sociologique de la population
6. Une relation forte entre services cliniques et structures d’enseignement et de recherche pouvant aller jusqu’à l’intégration complète des 3 fonctions au sein d’un bâtiment unique, favorisant la formation des professionnels de santé et le développement de la recherche translationnelle, mais aussi l’interdisciplinarité, le contact direct et la mutualisation des plateformes technologiques
7. Une ambition forte de réduction de l’empreinte environnementale des futurs constructions et de leur fonctionnement. Je constate avec plaisir que le Conseil Immobilier de l’Etat, dans son avis sur la gestion immobilière des centres hospitaliers régionaux universitaires (CHRU) conforte certaines de ses propositions. Parmi les recommandations du Conseil Immobilier de l’Etat, je retiens en particulier les suivantes adressées aux maîtres d’ouvrages :
– L’élaboration de schémas pluriannuels de stratégie immobilière intégrant les opérations de maintenance, inscrits dans leur environnement régional
– Le développement d’une démarche environnementale exemplaire ;
– la nécessité de faire des choix techniques initiaux permettant l’adaptation du bâti aux évolutions qualitatives et normatives.
– la nécessité de prendre en compte l’ensemble de l’offre de soins du territoire
– l’importance de la phase d’appropriation par les personnels des nouvelles organisations et nouveaux outils de travail
Cet organe consultatif, placé auprès du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, est en charge du suivi et de l’évaluation de l’avancement de la démarche de modernisation et l’évolution du parc immobilier de l’État et de ses opérateurs. Présidé par Jean-Louis Dumont, il a ouvert en 2013 un cycle d’auditions consacrées à la gestion immobilière des établissements publics de santé. Après avoir reçu les représentants de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et de l’Agence d’appui à la performance des établissements de santé et médicaux -sociaux (ANAP), il a auditionné 12 CHU.
C’est la synthèse de ces travaux qui est présentée dans son avis général de fin 2014. Loin de remettre en cause la poursuite des investissements hospitaliers, il affirme que “l’immobilier est dans chacune de ses dimensions un facteur déterminant de l’accomplissement des missions du service public hospitalier”, allant même jusqu’à regretter que dans un contexte concurrentiel la difficulté à investir pénalise l’hôpital public.
Il souligne d’ailleurs avec beaucoup de justesse les difficultés auxquelles sont confrontés les responsables hospitaliers :
– la lenteur des procédures de maîtrise d’ouvrage publique, des processus de validation des opérations et de leurs conditions de financement, qui induisent un risque important de déconnexion entre le programme et le budget et d’inadéquation entre le programme et les besoins du fait d’une “ obsolescence prématurée au regard des progrès scientifiques “.
– la non intégration du coût global de l’immobilier dans les tarifs d’activités depuis l’instauration de la Tarification à l’Activité
– les décisions d’urbanisme de certaines collectivités locales qui sont contraires aux intérêts financiers des hôpitaux.
Parmi les recommandations ou propositions que fait le Conseil aux tutelles des établissements publics de santé, je souhaite en retenir 3, qui pourraient dynamiser de manière significative les démarches d’investissement :
– La régulation dans le temps des flux d’investissements hospitaliers et la prise en compte du coût global immobilier dans la tarification de l’activité ;
– L’engagement d’une réflexion sur les mécanismes et outils de production de l’immobilier hospitalier public afin d’assurer une meilleure maîtrise des programmes, des délais et des coûts des projets ;
– une étroite collaboration sous l’égide de l’ARS et du Préfet pour hiérarchiser les intérêts publics en présence (pour éviter que les décisions d’urbanisme ne soient prises aux détriments des hôpitaux)
Yann Bubien
Directeur général du CHU d’Angers