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Architecture au bloc opératoire : “Nous devons accepter de rompre avec l’uniformité de traitement”
Pourquoi cibler le bloc opératoire ?
Simplement parce que tout le monde sait que la chirurgie ambulatoire est un concept d’organisation basé sur la gestion des flux de toutes sortes et que le bloc opératoire est le dernier obstacle à lever, pour répondre complètement à cette définition. C’est l’ultime bouchon dans les circuits, responsable de tous les engorgements. L’archaïsme, l’immuabilité et l’uniformité des circuits de ce plateau technique est une des raisons pour lesquelles le taux de chirurgie ambulatoire ne dépassera jamais le plafond de verre.
Le virage ambulatoire est dans toutes les consciences. Notre Ministre veut que son taux grimpe à 70% en 2022. Cet objectif est un saut rapide et révolutionnaire dans le futur. Il est néanmoins encore nettement inférieur à celui de la plupart des pays de l’OCDE. Tous les pays qui ont développé la chirurgie ambulatoire dont les taux dépassent 70%, ont toujours commencé un virage avec des centres indépendants, dont l’intérêt premier était de se soustraire de l’organisation des blocs traditionnels. C’était la manière la plus simple. Aujourd’hui ces pays ont pu évoluer vers des unités beaucoup plus diversifiées qui se sont adaptées à la fois aux volumes d’activité croissants et à l’élargissement du case mix ambulatoire qui englobe également des actes chirurgicaux lourds.
Ils ont compris depuis longtemps qu’une cataracte ou un canal carpien nécessitaient des ressources et une organisation différente de celles dédiées à des arthroplasties de hanche ou une cholécystectomie sous célioscopien même si toutes sont prises en charge en ambulatoire. Ils ont 20 ans d’avance. La question est de savoir si la France peut rattraper ce retard et surtout le faire dans un temps très court, sachant que la plupart des investissements de modernisation, continuent à se faire au bloc opératoire sur un modèle intégré, qui maintient dans un position dominante, la chirurgie traditionnelle forcément décroissante et minoritaire. Assurément non.
Il n’est pas question de pointer la responsabilité des uns et des autres mais simplement de constater que si le visuel a changé et que les structures sont belles et souvent bien équipées, les fonctions décisionnelles, la hiérarchie, les modes de communications, plus globalement l’organisation, sont restés les mêmes depuis un demi-siècle. L’architecture hospitalière n’échappe pas à ce constat. Nous sommes le seul pays qui impose quasiment un bloc commun pour des modes de prise en charge complètement différents. Alors qu’ailleurs, on a admis l’autonomie, l’indépendance et même la liberté de créer des entités innovantes dès lors qu’elles répondent à des exigences sécuritaires et économiques strictes.
Maintenant comment faire, pour aller vite et bien, alors que, depuis 25 ans, nous n’avons pas saisi l’opportunité que la chirurgie ambulatoire pouvait changer significativement l’organisation de la prise en charge chirurgicale ? Faut-il, en même temps, tout défaire et repartir sur le bon pied, avec le risque de s’engager dans des chantiers de renouvellement qui touchent tous les niveaux de décision, de restructuration qui touchent la majorité des structures, des modifications réglementaires qui vont se perdre dans les méandres administratifs et politiques ? Assurément non, car c’est continuer avec tous les atermoiements que nous connaissons bien. Désacraliser en urgence le bloc opératoire, véritable turbine qui tire les flux en amont et les pousse en aval, c’est se fixer un préalable qui pourrait donner des résultats quasi immédiats.
Donner une indépendance créatrice aux acteurs de première ligne, c’est créer une dynamique ascendante qui impactera, les structures, et le décisionnel. C’est la meilleure manière d’harmoniser, dans une unité de lieu, propre au paysage hospitalier français, la chirurgie de recours et d’urgence avec la chirurgie lourde avec ou sans comorbidité qui s’oriente inexorablement vers l’ambulatoire. Enfin la chirurgie de cabinet prend de l’ampleur dans tous les pays. Elle s’affranchit sans complexe de la complexité hospitalière. Pouvons-nous l’ignorer ? Devons-nous l’intégrer dans nos futurs blocs opératoires ? Probablement, dans un premier temps, pour éviter des ruptures trop brutales.
Sommes-nous capables, maintenant, de ces prouesses qui imposent une telle diversité des flux ? Il le faut !
L’architecture de proximité, consciente, innovante, imaginative, qui sait comprendre et adapter est probablement un des leviers fondamentaux.
Guy Bazin
Anesthésiste Réanimateur
Président fondateur de l’Association Française de Chirurgie Ambulatoire
“Retour vers le futur (pavillonaire”
Ambulatoire. Le nom puise son étymologie dans le terme latin “ambulatorius” : “mobile”, “qui va et vient”, “qui se meut”, “qui se déplace”. Rendre son autonomie et sa mobilité à un patient atteint d’une maladie devrait être l’objectif prioritaire que se fixe tous système de sons performant. Or, notre système de soins a été historiquement structuré autour de l’Hôpital, les patients couchés et hébergés, et leurs corollaires, le nombre de lits. Il l’est toujours, alors que le vieillissement de la population change la donne. Douze millions de personnes vivent en France avec une pathologie chronique de type cancer, diabète ou affection cardio-vasculaire, majoritairement pris en charge hors de l’Hôpital. L’Hôpital devient un simple jalon dans un parcours de santé majoritairement orienté vers la ville.
Ainsi, l’Hôpital fait face à quatre révolutions simultanées. Toutes réduisent fortement l’hébergement et la durée des séjours hospitaliers.
Révolution technologique et thérapeutique : chirurgie micro-invasive, radio-chirurgie, chimiothérapie à domicile, médicaments innovants… A titre d’exemple, la chimiothérapie à domicile va supprimer les 2.5 millions de séances annuelles de chimiothérapie actuellement réalisées dans les établissements de santé.
Révolution des nouvelles technologies d’information et de communication : big datas, objets connectés, outils d’aide au diagnostic et à la thérapeutique… Cette révolution devrait amener les acteurs à s’interroger chaque jour sur le bien-fondé de l’hébergement, par une analyse de type bénéfice/risque : “Why is the patient in hospital today ?”
Révolution des pratiques professionnelles : Récupération Améliorée Après Chirurgié (RAAC), pertinence des actes… La RAAC, avec sa prise en charge individualisée de la personne (réalimentation, lever et mobilisations précoces, absence de pose de drain…) en est une bonne illustration. Transférer en RAAC les 160.000 prothèses de hanche et les 110.000 prothèses de genou posées annuellement en France aboutirait à faire passer les durées de séjour de 10 à 2 jours. Et donc de supprimer plus d’1.5 million de journées d’hospitalisation. Sans même prendre en compte le développement de l’ambulatoire : 1.700 prothèses y ont été déjà opérées en 2016.
Révolution des organisations : chirurgie ambulatoire, gestion des flux, techniques de Lean Management… L’objectif ministériel de 70% de chirurgie ambulatoire en 2022 provoque mécaniquement une surcapacité de 34.000 lits de chirurgie dont 19.000 publics.
Le lit n’est donc plus l’unité de mesure. Il faut en tirer pleinement les conséquences au niveau de l’organisation des soins des Hôpitaux, de leurs dimensionnements, de leurs coûts de fonctionnement, de leurs investissements et de leur juste place dans le paysage sanitaire.
Il faut inventer l’Hôpital de demain autour de l’ambulatoire. Il faut assurer la diversité de l’offre et constituer des niveaux d’environnements différents. Trois niveaux de plateaux techniques pourraient par exemple être proposés : le plateau technique hyperspécialisé avec quelques lits (pour des interventions très lourdes de type cardiaque), le plateau technique classique de proximité, autonome et sans lits (cataractes, varices, thyroïdes…) et le plateau de ville (“bobologie” et petites urgences). Il faut réfléchir en fonction des flux. L’importance et la diversité des flux (urgences, chirurgie ambulatoire, consultations, cancérologie…) doivent structurer l’Hôpital : il faut autonomiser les flux et les séparer pour mieux les gérer.
L’architecture est l’aboutissement de tous les défis. Il faut sortir de l’Hôpital bloc. Flexibilité, adaptabilité, et modularité sont les maîtres-mots. Les cathédrales surdimensionnées doivent laisser la place aux petites structures mobiles répondant mieux aux besoins des patients. Il faut réinventer les hôpitaux pavillonnaires du 19ème siècle, non plus pensés, comme par le passé, sur les pathologies et les spécialités, mais sur la gestion des flux : des petits pavillons évolutifs, entourés d’espaces et de foncier pour pouvoir les adapter dans le temps, et de la distance entre eux pour mieux les gérer.
L’ambulatoire peut ré-enchanter l’Hôpital, le métamorphoser et lui redonner de la visibilité.
Dr Gilles Bontemps
Membre de l’Académie Nationale de Chirurgie